Raymond Villeneuve
Directeur général du Regroupement pour la Valorisation de la Paternité
Diane Dubeau
Présidente du Regroupement pour la Valorisation de la Paternité
Alors que prennent fin les consultations sur la réforme du Droit de la famille, c’est un cri du cœur que nous lançons aux équipes qui auront la lourde tâche de proposer la mise à jour de cette portion fondamentale du droit civil pour l’adapter à notre société où la famille s’est profondément transformée depuis quarante ans : il faut entendre la voix des pères.
Ce cri du cœur fait écho aux appels de détresse que des milliers de pères, blessés par des procédures de séparation aux conséquences dramatiques, lancent avec désespoir mais qui, pour toutes sortes de raisons, semblent souvent ne pas être entendus.
La question est complexe car fondamentalement, le Droit de la famille est neutre et ne fait pas de distinction entre les femmes et les hommes. Ce sont les mêmes règles qui s’appliquent tant pour les mères que pour les pères. Malgré tout, et cela est bien documenté, les mères et les pères vivent différemment les conséquences d’une rupture. Par exemple :
- Dans 70 % des cas, ce sont les conjointes qui initient la rupture conjugale. Les femmes peuvent ainsi mieux prévoir la rupture et se préparer à cette éventualité.
- La modalité de garde exclusive est encore plus fréquemment allouée à la mère bien que cet écart se rétrécisse au fil des années par une augmentation de la garde partagée et de la garde exclusive au père.
- Les premières décisions judiciaires relatives aux contacts de l’enfant avec ses parents sont déterminantes puisqu’elles influencent à plus long terme le maintien et la qualité de ces liens. Un règlement rapide est donc souhaitable dans un tel contexte, mais les délais d’accès à la justice sont souvent trop longs.
- En raison des écarts de revenu toujours existants entre les hommes et les femmes et en corollaire avec les modalités de garde octroyées, les pères paient davantage de pensions alimentaires et sont moins nombreux à bénéficier de l’aide juridique. Le manque d’information juridique limite aussi l’accès des pères au système de justice.
Les témoignages de pères désespérés qui se retrouvent au bord du gouffre financier ou qui sont privés du lien avec leur enfant au terme d’une séparation sont légion. Au Regroupement pour la Valorisation de la Paternité, qui n’est pourtant pas un organisme qui offre des services directs à la population et qui ne fait aucune publicité, nous recevons en moyenne un appel par jour de ces pères qui crient à l’aide. L’organisme Pères séparés inc., qui dessert le territoire du Grand Montréal, reçoit à lui seul plus de 2 000 appels par année. Les Maisons Oxygène accueillent des centaines de pères en difficulté qui ont souvent vécus des histoires de ce type. Pendant la Semaine Québécoise de la Paternité ayant eu lieu au début juin, où une campagne dans les médias sociaux faisait la promotion de la fierté d’être père, ce genre de témoignage a été lu fréquemment. Et nous connaissons à peu près tous aussi un père qui a vécu ce genre de situation.
Les pères qui nous racontent leur histoire ont souvent un point en commun : le sentiment de ne pas être entendus.
S’il est généralement admis que l’engagement paternel a des effets bénéfiques pour les enfants, pour les mères et pour les pères, il est donc dans le meilleur intérêt de l’enfant, lorsque la situation le permet, que la loi favorise le maintien de son lien avec chacun de ses parents. Pour ce faire, le ministère de Justice doit entendre la voix des pères et reconnaitre qu’il n’est pas suffisant que la loi soit neutre, il faut aussi que son application tienne compte des parcours différenciés des pères et des mères.
Il faut donc documenter ces parcours, sensibiliser les divers intervenants (juges, avocats, médiateurs) et prendre des mesures pour que le Droit de la famille intègre une véritable approche « famille », c’est-à-dire qu’il accompagne, en période de séparation, les mères, les pères et les enfants, toujours dans le meilleur intérêt de ces derniers.