Mémoire présenté à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse

Mémoire présenté en janvier 2020

La relation des garçons et des pères avec les services de protection de la jeunesse est très souvent différente de celles des filles et des femmes, de même que leur parcours personnel et familial. La relation de la protection de la jeunesse avec les personnes soutenues varie aussi souvent en fonction du genre de celles-ci. Ne pas tenir compte de ces différenciations, c’est se priver de données essentielles pour mieux comprendre les réalités des familles et surtout, pour mieux soutenir les enfants, garçons et filles, vivant des difficultés importantes et qui doivent être protégés en tenant compte de leurs réalités particulières. Pour toutes ces raisons, ce mémoire conclue qu’il est essentiel que notre société agisse rapidement et adapte les services de protection de la jeunesse aux réalités masculines et féminines pour le bien-être de tous et toutes.

Pertinence de la notion de genre dans l’écosystème de services aux enfants

De nombreuses études ont démontré, au cours des dernières années, que les garçons et les filles, ainsi que les pères et les mères, empruntent des trajectoires souvent différenciées, et ce, tout particulièrement lorsqu’ils vivent des difficultés importantes. La recherche nous apprend aussi que la relation des hommes avec le réseau de la santé et des services sociaux est différente de celle des femmes.

Facteur de vulnérabilité différenciés selon le genre – proportion garçon/fille

plus de garçons que de filles sont en situation de vulnérabilité quant à leur habileté à communiquer et leurs connaissances générales

plus de garçons que de filles sont en situation de vulnérabilité au niveau de leur compétences sociales

plus de garçons que de filles sont en situation de vulnérabilité au niveau de leur maturité affective

plus de garçons que de filles sont en situation d’itinérance visible

Fréquence de consultation des services médicaux et psychosociaux selon le genre

moins de consultations médicales sont faites par des hommes que par des femmes

moins de consultations psychosociales sont faites par des hommes que par des femmes

Ce que pensent les pères de l’offre générale de services à la famille

des pères ont l’impression qu’ils ne sont pas traités de la même manière que les mères par les services de santé et de services sociaux

des pères considèrent que le traitement des pères n’est pas équivalent à celui des mères dans l’application des lois et des règlements

Les actions en protection de la jeunesse doivent prendre en compte la notion de genre pour les enfants et leurs parents

Le Bilan des Directions de protection de la jeunesse 2018-2019 s’appuie sur des données non-genrées lorsqu’il est question des parents ou des jeunes de moins de 12 ans. La seule différenciation de genre dans le document a trait aux jeunes contrevenants, de 13 ans et plus, et dans ce cas, les différences sont très significatives.

Données différenciées selon le genre dans le bilan des DPJ 2018-2019 (jeunes contrevenants) – proportion garçons/filles

plus de garçons contrevenant qui ont été évalués et orientés par le directeur provincial que de filles

plus de garçons contrevenants qui ont reçu des services que de filles

plus de garçons qui ont purgée une peine dans la collectivité (sans mise sous garde) que de filles

plus de garçons qui ont purgé une peine comportant une mise sous garde que de filles

Les politiques publiques encadrant la protection de la jeunesse ne permettent pas le déploiement d’une approche différenciée en fonction des genres

La Loi sur la protection de la jeunesse utilise les vocables mère et père dans l’ensemble de son texte. Cette approche est inclusive mais indifférenciée. Elle n’incite pas les services de protection de la jeunesse à tenir compte des différences de genre dans leurs interventions. Pourtant d’autres politiques publiques québécoises adoptent une telle approche pour mieux soutenir l’engagement des pères en tenant compte de leurs réalités particulières.

Politiques publiques intégrant explicitement la notion de genre

  • Régime québécois d’assurance parentale (RQAP)
  • Plan d’action ministériel en santé et bien-être des hommes du ministère de la Santé et des Services sociaux
  • Politique gouvernementale de prévention en santé
  • Politique de périnatalité 2008-2018
  • Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes

La relation entre les pères et la DPJ

Plusieurs études menées par Carl Lacharité (UQTR) et Annie Devault (UQO) dressent les constats suivants quant à la présence des pères dans les interventions en Protection de la Jeunesse.

  • À moins que les pères ne soient clairement identifiés comme étant les responsables de situations d’abus, les plans d’intervention et de services comportent peu d’objectifs ciblant spécifiquement les pères et leur contribution à la réponse aux besoins de leurs enfants. Dans les cas où ils sont ciblés, la principale logique d’action consiste à les écarter de la vie de ces derniers;
  • Les pères sont moins souvent (et plus tardivement) sollicités par les intervenant-e-s dans l’exploration des solutions et des décisions dans une situation de mauvais traitement de leurs enfants;
  • Les projets que les pères peuvent avoir pour l’enfant et eux-mêmes dans leur rôle paternel sont peu pris en considération.

Carl Lacharité et Annie Devault proposent les solutions suivantes pour remédier à la situation :

  1. La DPJ doit élaborer des cibles organisationnelles quant à son intégration des réalités paternelles;
  2. La DPJ doit favoriser des discussions ouvertes avec les pères;
  3. Et surtout, la DPJ doit apporter du soutien aux pères dans l’exercice de leur rôle autant qu’aux mères.

Pistes d’actions proposées pour mieux soutenir les garçons et les pères

Production de données

Recommandation 1

Que la DPJ produise systématiquement des données genrées, tant pour les jeunes que pour les parents, de manière à faire apparaître distinctement les réalités féminines et masculines.

Adaptation des services

Recommandation 2

Que les plans d’action annuels de la DPJ intègrent des mesures pour soutenir spécifiquement les garçons et les pères et que l’effet de ces mesures puisse être vérifié par la mise en place d’indicateurs de résultat (formation aux réalités masculines, adaptation des pratiques, organisation des services, nombre de garçons et des pères rejoints, etc.).

Recommandation 3

Que les plans d’action régionaux et locaux réalisés dans le cadre du Plan d’action ministériel en santé et bien-être des hommes (PAMSBEH) intègrent des mesures visant spécifiquement les Centres jeunesse (formation aux réalités masculines, adaptation des pratiques, organisation des services, indicateurs de résultats, etc.).

Politiques publiques

Recommandation 4

Que le prochain (PAMSBEH), intègre, en 2022, des mesures visant spécifiquement la DPJ de manière à favoriser l’adaptation de ses pratiques aux réalités des garçons et des pères.

Recommandation 5

Que le cadre de référence du programme SIPPE (Services intégrés en périnatalité et petite enfance) soit révisé afin qu’il permette de rejoindre spécifiquement tous les pères vulnérables et pas seulement les pères à la tête d’une famille monoparentale.

Recommandation 6

Que les réalités masculines soient intégrées dans d’autres programmes et politiques de prévention du ministère de la Santé et des Services sociaux tels que le Programme Agir tôt et la prochaine Politique de périnatalité.

Services communautaires

Recommandation 7

Que le financement des organismes communautaires qui soutiennent spécifiquement les pères en difficulté et leurs enfants (tels que les maisons Oxygène d’hébergement pères-enfants) soit rehaussé de manière à mieux prévenir la négligence et la maltraitance de ces derniers.

Tribunaux

Recommandation 8

Que les juges et les intervenants judiciaires en Protection de la jeunesse suivent une formation obligatoire afin de mieux comprendre les réalités particulières des pères et des garçons.

Recherche

Recommandation 9

Que des travaux de recherche soient réalisés afin de mieux comprendre de quelle manière les réalités masculines influent sur la trajectoire des garçons et des pères qui sont soutenus par les services de protection de la jeunesse.

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